œil gourmand Michel Draguet

L’ŒIL GOURMAND

RENCONTRE CHROMATIQUE ET GASTRONOMIQUE
ENTRE LIONEL RIGOLET ET ISABELLE RAVET

Il y a la nature morte dans son évidence poétique : sensualité douce des choses offertes au regard. Il y a l’assemblage des objets érigé en récit : cabinet de curiosité métamorphosé en rébus. Derrière chaque forme, une figure qui vaut pour discours où le temps se dénoue en espace. Et en amont des bouts de tissus, des bibelots, des verres, des pots, des morceaux de corail et des choses déclinées à l’infini de leurs vies fanées… Isabelle Ravet fouille, déniche, accumule tout ce qui lui passe par la main pour alimenter son imaginaire. Des caisses empilées attendent de trouver place sur les rayonnages de son cabinet de curiosité en perpétuelle mutation. Mais les choses ne disent pas tout. Elles ne se livrent pas dans l’instant. Il faut en organiser la mise en scène à l’instar de l’écriture d’une phrase musicale. Que chaque mot soit à sa juste place pour rendre compte de l’intention première. Depuis près de trente ans, l’artiste mène sa recherche. Sur le plan technique pour affûter sa maîtrise du trompe-l’œil ; sur le plan de l’histoire de la nature-morte et des philosophies qui la sous-tendent. C’est sans doute dans ce registre qu’Isabelle Ravet s’est le plus investie. La nature-morte a souvent été synonyme chez elle de sensualité décorative. Des fleurs qui se déploient en arabesques , des fruits qui sommeillent mollement dans les replis de lourds drapés, des pots à l’émail opalescents qui frémissent au contact d’un rayon de soleil. Tout un monde de délicatesse se déploie dans un jeu de référence où le Hollandais se mêle à l’Espagnol dans un mélange absolu des siècles. Maîtresse de ses effets, la peintre n’a cessé de creuser son art jusqu’à lui assigner une rigueur morale inédite. Des tableaux hollandais magnifiés il y a quelques années ne reste qu’un drapé immaculé savamment distribué qui soutient ici la distribution monumentale, ici de quelques figues, là de plantureux citrons et de généreuses citrouilles. La palette est retenue. Une certaine gravité domine. Les natures-mortes de Zurbaran et, surtout, celles de Sanchez Cotan donnent le ton. Isabelle Ravet concentre ses effets. La lumière magnifie des espaces dépouillés qui se contractent sur des objets tout en retenue . Deux potirons posés sur un drap pliés témoignent d’une humanité qui se ne s’exprimerait qu’à travers ses objets. La densité méditative l’emporte sur l’aspiration décorative. Pas sur le plaisir que procure la plongée dans la vie intime des choses.

Michel Draguet